Steven Cohen danse contre les loups, et l’horreur indicible
Le Monde, 13 juillet 2012, par Rosita Boisseau
Le Monde, 13 juillet 2012, par Rosita Boisseau
Le performeur embrasse l’Holocauste et tente de conjurer la barbarie.
Le choix de souffrir. Le désir de le mettre en scène. Par nécessité et obligation, souffrir et l’exhiber. En jouir aussi, sans doute. Le danseur et performer Steven Cohen “sud-africain, blanc, juif et queer” prend à son compte l’extermination des juifs pour la reconduire sous une forme artistique démesurée. Etoile jaune sur le front, faux cils énormes, bouche noire, crâne chauve maquillé, nudité ou costume extravagant, il fait de son corps une œuvre d’art ambulante qu’il soumet à toutes les épreuves. Sujet et objet, bourreau et victime, triomphant toujours jusque dans les situations les plus dangereuses, les plus risquées. Steven Cohen n’a plus rien à perdre.
Il est allongé dans un caveau, une tombe creusée dans la pierre. Il peut à peine y relever la tête et s’en extirpera difficilement. Invité pour la première fois au Festival d’Avignon, l’artiste sud-africain, vivant entre Johannesburg et Lille, a choisi son lieu : une sorte de crypte située sous le plateau de la Cour d’honneur du Palais des papes, pour y présenter Title Withheld. For Legal and Ethical Reasons (Sans titre. Pour raisons légales et éthiques). Sol en terre battue, plafond bas, odeur d’humidité. Des rats courent dans des tuyaux transparents, juste au-dessus des têtes des quarante spectateurs qui se serrent le long du mur.
Dressé comme à son habitude sur des cothurnes – ici des blocs en métal de sept kilos chacun dont la semelle est un écran sur lequel défilent les images d’un journal intime écrit pendant la seconde guerre mondiale -, Steven Cohen se déplace lentement. Appuyé sur des cannes en métal, il s’arrête face au public. A chacune de ses stations, il s’allonge en montrant les écrans, fait le poirier, la galipette… Des chants de cérémonies mortuaires juives s’entrechoquent avec les voix de Pétain, Hitler, Mandela…
Le strict chemin de ce solo très grave dure cinquante minutes longues, lentes et pleines. Cérémonie, confidence, rendez-vous clandestin, la sensation de devenir une courroie de transmission de l’entreprise de mémoire de Steven Cohen a la saveur d’un cadeau rare. Un détail qui en dit long sur l’impact de la performance : lorsque Cohen, très maigre, allongé nu par terre, peine à se relever et tend la main, tout le monde semble se pencher pour l’aider. Un besoin de contact qui souligne combien, sans déraper vers trop d’empathie, chacune des personnes l’accompagne.
L’histoire de Title Withheld. For Legal and Ethical Reasons est incroyable. En 2008, se baladant sur un marché aux puces, à La Rochelle, Steven Cohen achète un journal écrit entre 1939 et 1942 par un jeune homme juif de 17 ans. Ces pages de textes et de dessins, brutalement stoppées en 1942, lui donnent l’idée d’une pièce.
Pendant trois ans, il recherche la personne. Il la croit d’abord morte dans les camps et découvre que ce jeune homme est entré dans la Résistance. Il finit par retrouver sa famille et vient d’obtenir les droits d’utiliser le journal qu’il a restitué aux héritiers.
Steven Cohen, qui porte toujours l’étoile jaune (parfois même en cache-sexe) quoi qu’il interprète, a hérité de sa grand-mère, juive originaire de Russie, émigrée en Afrique du Sud dans les années 1930, son obsession pour l’histoire de l’Holocauste.
Sans cesse, il perpétue en la réinventant une mémoire-martyre en dénonçant la barbarie et son imagination dévastatrice de la destruction de l’autre. Les images pornographiques hard projetées pendant le solo – a-t-il d’ailleurs vraiment besoin d’insister à ce point sur le porno? – soulignent l’obscénité et la déshumanisation de la Shoah.
Les dessous du plateau du Palais des papes, par leur côté minéral et obscur, évoquent une grotte. Ils rappellent en écho les “Swartkrans Caves“, ces grottes situées en Afrique du Sud où ont été mis au jour les ossements les plus anciens de l’humanité. Steven Cohen a eu l’autorisation d’y aller et d’y emmener sa nourrice Nomsa Dhlamini, 91 ans, pour un film projeté dans le spectacle The Cradle of Humankind, interprété par eux deux.
Elle, nue en tutu ou portant les chaînes de l’esclavage. Lui, nu également devant le cadavre d’un singe. Le caveau de Title Withheld. For Legal and Ethical Reasons et le berceau s’imbriquent dans ces deux pièces, reliant la naissance et la mort dans un cycle d’une sidérante évidence.
Rosita Boisseau
Conception, costumes et accessoires Steven Cohen
Dramaturgie Agathe Berman
Lumière Erik Houllier
Son et vidéo Armando Menicacci
Dresseur animalier Guy Demazure
Production Latitudes Prod (Lille)
Coproduction Festival d’Avignon, BIT Teatergarasjen (Bergen), Latitudes Contemporaines (Lille), NEXT Festival Eurometropolis (Lille-Kortrijk-Tournai-Valenciennes-FR/B), La Bâtie Festival de Genève
Avec le soutien de la Ville de Lille et le programme Lille Ville d’Arts du futur, de la DRAC Nord-Pas de Calais, de la Région Nord-Pas de Calais, de l’Institut français, du projet Transdigital (FEDER/Interreg IV France-Wallonie-Vlaanderen) et de Lille 3000 Fantastic
COMPAGNIE STEVEN COHEN
24 rue Succursale | 33000 Bordeaux | France
Samuel Mateu
Administrateur de production | +33(0)6.27.72.32.88
production[@]steven-cohen.com
[PRESSE] Toutelaculture.com, 28 novembre 2012, par Audrey Chaix
[PRESSE] LesTroisCoups.com, 21 juillet 2012, par Aurore Krol
[ENTRETIEN] Entretien entre Steven Cohen & Renan Benyamina lors du Festival d’Avignon 2012.
[PRESSE] ParisArt, 7 novembre 2011, par Smaranda Olcèse-Trifan.