Sous la cour, l’horreur
LesTroisCoups.com, 21 juillet 2012, par Aurore Krol
LesTroisCoups.com, 21 juillet 2012, par Aurore Krol
C’est sous la Cour d’Honneur du Palais des Papes, dans une cave humide et enténébrée, que Steven Cohen emmure ses spectateurs. Pour une performance glaciale et mémorielle autour de la Shoah.
La thématique est écrasante, mais c’est un sujet connu, que l’on rencontre régulièrement à travers les obsessions du performeur. C’est de la pierre, d’une cavité étroite, que Steven Cohen apparaît au public. Les pieds dans de douloureux et lourds socles de métal, soutenu dans sa démarche par des béquilles métalliques. Lente et pénible procession ou pénitence, le visage serti de noir, le sexe enserré dans un carcan plastifié. Il y a quelque chose de l’animal blessé, du monstrueux, dans cette silhouette expressément écorchée vive, dans cette démarche qui appelle une autre temporalité, une lenteur appuyée et réflexive.
Sous les socles qui enserrent les pieds de Steven Cohen, deux iPad sont fixés, l’artiste marche sur des images. Il s’agit de la reproduction des pages d’un journal écrit par un enfant juif durant la Seconde Guerre mondiale. Un document inédit, intime et inexploité jusque‑là, que Steven Cohen a découvert et qu’il nous livre comme un secret.
Des images qui renvoient à Maus
Pour cela, comme à son habitude, il convoque un certain nombre d’objets et d’installations plastiques à forte charge symbolique, une imagerie terrible et mutante qui traque le regard dans ses retranchements, quitte à forcer le trait jusqu’à l’amalgame. Des rats dans leurs tubes, inconscients de la représentation à laquelle ils participent, sont des images qui renvoient à Maus, la célèbre bande dessinée d’Art Spiegelman. La voix de Pétain résonne dans la cave pendant qu’une caméra explore en direct le corps dans ce qu’il a de plus organique en termes d’humeurs, de grain de peau.
Comme un grand écart mettant à mal le propos, des images zoophiles s’interposent en contrepoint de la marche blessée de l’artiste. Pornographie et nazisme se superposent alors en association assez nauséeuse, limite qu’il n’aurait peut‑être pas fallu franchir.
Peut-on faire du trash de tout ? La question est posée face à cette performance au scalpel, où l’on cherche en vain la moindre parcelle d’espoir, d’humanité. La raison vient peut‑être de cette évolution dans le personnage que se façonne Steven Cohen au fil de ses créations, personnage cette fois‑ci dirigé vers l’opacité et la douleur sèche. De là mon impossibilité à applaudir, à ressentir, à comprendre ce qu’il vient de se passer. De là mon incapacité à faire le moindre geste, à quitter ce lieu à la fin du spectacle.
Et c’est là que quelque chose se produit : vidée de son créateur, la cave devient espace de recueillement apaisé, où il est possible de s’attarder pour observer les objets et les pages du carnet qui continuent à défiler, mais aussi de regarder les rats enfermés, de les regarder vraiment et de ressentir une compassion. Parce que la vie est là, même emprisonnée, et que la capacité d’empathie à toute épreuve est peut‑être la seule porte de sortie.
« Je regarde encore sous le soleil […] »
Il y a ces mots qui me viennent à l’esprit en remontant vers la lumière, en me retrouvant sur la scène du Palais des Papes, éblouie devant un gradin vide. Des mots tirés de l’Ecclésiaste : « Je regarde encore sous le soleil : à la place du droit, là se trouve le crime, à la place du juste se trouve le criminel ». C’est à cette prière que je pense, et à cette ambiguïté, cette figure qui n’est pas celle d’un juste : Steven Cohen, l’artiste qui n’est pas venu saluer.
Cette œuvre ne lui appartient pas bien qu’il s’en approprie les images pour en donner à voir un parcours martyrisé. Cette œuvre n’existe que par nos regards sur elle, et le chemin intime que l’on veut bien faire pour en recomposer le sens. Sous son apparence inachevée et choquante, sous l’étau glacial, il y a les armes d’une possible rédemption.
Aurore Krol
Conception, costumes et accessoires Steven Cohen
Dramaturgie Agathe Berman
Lumière Erik Houllier
Son et vidéo Armando Menicacci
Dresseur animalier Guy Demazure
Production Latitudes Prod (Lille)
Coproduction Festival d’Avignon, BIT Teatergarasjen (Bergen), Latitudes Contemporaines (Lille), NEXT Festival Eurometropolis (Lille-Kortrijk-Tournai-Valenciennes-FR/B), La Bâtie Festival de Genève
Avec le soutien de la Ville de Lille et le programme Lille Ville d’Arts du futur, de la DRAC Nord-Pas de Calais, de la Région Nord-Pas de Calais, de l’Institut français, du projet Transdigital (FEDER/Interreg IV France-Wallonie-Vlaanderen) et de Lille 3000 Fantastic
COMPAGNIE STEVEN COHEN
24 rue Succursale | 33000 Bordeaux | France
Samuel Mateu
Administrateur de production | +33(0)6.27.72.32.88
production[@]steven-cohen.com
[PRESSE] Toutelaculture.com, 28 novembre 2012, par Audrey Chaix
[PRESSE] Le Monde, 13 juillet 2012, par Rosita Boisseau (Avignon, envoyée spéciale)
[ENTRETIEN] Entretien entre Steven Cohen & Renan Benyamina lors du Festival d’Avignon 2012.